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La Corrida

Spectacle qui consiste à affronter à pied plusieurs taureaux braves dans un édifice clos prévu à cet effet

Patio de caballos en la plaza de Sevilla. W. Gaïl, c.1845-37.
Litografía, fondo de color. Colección RMCS.

« Tout est réuni dans la corrida : la couleur, la joie, la tragédie, l’énergie et la force, la grâce, l’émotion… C’est le spectacle le plus complet qui soit. Dorénavant je ne pourrais plus me passer de corridas »

Charles Chaplin

Suite à la corrida à laquelle il avait assisté dans les arènes de Saint Sébastien, déclarations faites à l’écrivain et journaliste Tomás Borrás, publiées dans un article de l’ABC du 11 août 1931

La corrida est un spectacle qui consiste à affronter à pied plusieurs taureaux braves dans un édifice clos prévu à cet effet, les arènes. C’est le spectacle de masse public le plus ancien d’Espagne et l’un des plus anciens du monde. Plusieurs matadors à pied participent à la corrida – en général, trois – assistés par leurs cuadrillas composées de trois banderilleros, ou peones, et de deux picadors à cheval. Au total ce seront donc douze toreros à pied et six à cheval qui devront affronter six taureaux. Lors d’une corrida de taureaux, les animaux combattus doivent avoir de quatre à six ans, avoir passé une approbation vétérinaire qui certifie leur intégrité et être mis à mort par des matadors ayant pris leur alternative, c’est-à-dire des «maestros».

Les combats qui ne remplissent pas pleinement ces conditions, ou pour lesquels les animaux n’ont pas atteint cet âge, sont appelés novilladas. Ce sont les toreros qui sont responsables du strict respect de l’application du règlement taurin et qui répondent de l’autorité, la Présidence des arènes. Ils doivent exécuter les différentes séquences dans un ordre préétabli et durant un temps limité. La lidia de chaque taureau se réalise en trois parties successives – tercio de piques, tercio de banderilles et tercio de muleta – qui se déroulent sur une piste qui elle-même se divise en tablas selon leur proximité avec la barrera, le tercio et les medios qui correspondent à la surface centrale de la piste. Les trois phases successives du combat s’appellent également tercios: tercio de pique, tercio de banderilles et tercio de muleta.

Au début du tercio de pique moderne, le taureau sort des chiqueros en galopant et le matador l’arrête par un travail de cape. Il place ensuite le taureau à proximité du picador afin que ce dernier exécute la pique. Puis, les peones réalisent des quites afin de sortir le taureau du cheval – protégé par un carapaçon – et le matador effectue ensuite généralement un quite de test afin d’évaluer le dosage de la pique. Parfois, le matador qui le suit dans l’ordre de la lidia réalise, pour le plaisir du public ou par rivalité, un quite de réponse auquel il a droit mais qui n’est pas obligatoire.

Durant le cours du troisième tercio, le matador, armé de sa muleta et de l’épée, prépare le taureau afin de l’estoquer une fois que ce dernier aura accepté la mort. C’est le moment culminant du combat: «sans épée, pas de paradis!» affirment les amateurs taurins. Il y a trois façons de réaliser l’estocade: «a recibir», le matador attend immobile la charge du taureau et profite du moment du croisement pour loger l’épée ; «al volapié», le matador se sert de l’immobilité du taureau vaincu, se jette sur la «croix» et donne l’estocade; et «al encuentro», matador et taureau se lançant simultanément. On s’assure de la mort du taureau, une fois celui-ci tombé sur le sable, par un coup de puntilla dans le cervelet.

Durant ce tercio, le matador démontre ses capacités artistiques avec de nombreuses passes variées à la muleta: passes hautes, statuaires, derechazos, passes de poitrine, naturelles à la main gauche, circulaires, trincherazos. Il termine ces séries avec des adornos et des galleos, entre lesquels on distingue la larga cordobesa ou le farol à la façon de Belmonte. Les aficionados réclament que ces passes soient non seulement administrées avec de la tempérance, du rythme et du commandement, mais en plus qu’elles soient liées de telle façon que lorsqu’une passe de termine, la suivante commence. L’ensemble de ces séries de passes s’appelle la faena.

Parfois il arrive qu’un matador essaye une nouvelle passe qui, si elle est acceptée, reçoit le nom de son premier exécuteur: rappelons-nous à la cape les chicuelinas du torero sévillan Chicuelo, ou las gaoneras étrennées par le matador mexicain Rodolfo Gaona, ou, à la muleta, les manoletinas du cordouan Manolete et les bernardinas du catalan Joaquín Bernardó.

Le taureau une fois mort est évacué, tiré par des mules au galop, pendant que les areneros nettoient rapidement la piste des restes de sang et que, dans le callejón, certains subalternes s’attèlent à éliminer tout le reste de sang des capes, des muletas et des épées. Dans toutes les cérémonies sacrificielles les signes de violence sont masqués. Pendant les quelques secondes durant lesquelles les mulilleros retirent le taureau sans vie, le public exprime collectivement son opinion concernant le taureau: il le hue et le siffle s’il n’a pas été à son goût ou l’applaudit s’il s’est comporté avec bravoure et noblesse.

Le président peut concéder un tour d’honneur à un taureau en reconnaissance de sa grande bravoure, pendant que le public, debout, applaudit avec émotion l’animal dont les aficionados se souviendront du nom. Récemment les Présidents ont reçu la possibilité de gracier les taureaux qu’ils considèrent exceptionnels, donnant ce qu’on appelle l’indulto. Cette nouvelle attribution de l’autorité n’est pas du goût de tous les aficionados puisque les indultos s’accordent plus souvent dans les arènes de moindre catégorie. Le matador, suivant l’opinion du public sur la qualité de la faena qu’il a réalisée, peut être applaudi, saluer durant le tercio, faire un tour d’honneur, ou peut recevoir jusqu’à deux oreilles en récompense de sa faena. Le dépiècement auquel est soumis le taureau dans certaines arènes, dans lesquelles la queue et les pattes lui sont coupées, n’est que révélateur de la moindre catégorie de ces dernières et la faible connaissance du toreo que démontre leur public.

Evolution historique

Tauromachie primitive. Le toreo populaire : les encierros et les capeas

Le jeu sacrificiel avec les taureaux braves – pratique souvent festive mais parfois aussi belle et impressionnante – nous accompagne en Espagne depuis la nuit des temps, comme en témoignent les peintures rupestres du Levant espagnol: les espagnols de tous les différents royaumes qui constituaient auparavant une monarchie multiple, jouent et jouaient, sacrifient et sacrifiaient depuis toujours (et possiblement pour toujours) des taureaux. Mais cela concerne aussi l’Europe, des milliers d’années avant l’Espagne, comme le montrent les impressionnantes peintures des grottes de Lascaux et de Chauvet, où il y a plus de trente mille ans la naissance de l’Art apparaît liée au culte des taureaux sauvages.

A partir de la sensationnelle découverte des fresques du palais de Knossos en Crète, qui ont tant impressionné Picasso et influencé son oeuvre, on sait que le jeu avec les taureaux est l’une des bases rituelles sur lesquelles s’est érigé l’antique culture méditerranéenne dont nous sommes presque tous héritiers en Europe.

Depuis le Pays Basque jusqu’en Andalousie, depuis le Royaume de Valence jusqu’en Estrémadure, c’est sans doute grâce au peuple d’Ibérie et ses jeux durant les festivités qui se célèbrent depuis des temps immémoriaux en Espagne avec les taureaux, les jeunes taureaux, les boeufs et les vachettes, que se produit encore quotidiennement le miracle de la survie du taureau brave; un animal que l’activité moderne a détruit, violant partout l’environnement naturel et culturel.

De la tauromachie chevaleresque au rejoneo moderne

La guerre médiévale de la Reconquête de la Péninsule ibérique s’est associé stratégiquement à la repopulation des villes que les succès militaires arrivaient à gagner. Il s’agissait d’une époque d’affrontements belliqueux continus qui, du point de vue de l’organisation militaire, exigeait l’incessante augmentation des unités de cavaliers: la chevalerie professionnelle devint vite le centre principal de l’armée de l’époque.

D’un autre côté, les exigences tactiques réclamaient la repopulation immédiate des villes et des territoires conquis. Ces circonstances particulières déclenchèrent de grands mouvements de masse dans les royaumes chrétiens médiévaux. La rapidité des déplacements et l’importance numérique des contingents humains transférés, couplées à la perte des cultures dévastées, firent de l’élevage en général, et de celui des troupeaux bovins en particulier, un objet de la plus grande importance stratégique. L’historien Sánchez Albornoz rappelle que dans la Chronica Adefonsi Imperatoris il est fait allusion à de nombreuses expéditions ou escapades menées par les milices municipales qui, quand elles étaient chanceuses, revenaient ramenant à leurs nouveaux foyers d’immenses troupeaux de bovins.

En conséquence, durant ces temps héroïques, la corrida était un prélude heureux à la satiété. Dans la ville fortifiée, l’exposition publique de l’adresse des cavaliers dans le maniement à cheval des animaux devint la plus jouissive des fêtes nourricières, devant les peuples tenaillés par la faim et harcelés par un ennemi implacable destructeur de vies, récoltes et semailles. Il ne s’agissait pas de chasse sportive, mais de captures stratégiques liées à la survie des groupes humains. Et c’est ainsi que, depuis ses origines médiévales, la fête taurine commémore la restauration de la vie citadine et constitue, en conséquence, un événement essentiellement urbain.

Les premières mentions écrites de fêtes taurines à cheval apparaissent au moment de la conquête et de la division de Séville, au milieu du XIIIème siècle. À partir de là, la tauromachie à cheval ne cessa de se développer et de s’imposer. Si l’on consulte la riche bibliographie qui décrit les «fêtes dignes d’être applaudies» au cours desquelles des jeux de cannes et de taureaux furent pratiqués (les conseils municipaux de villes espagnoles en organisaient pour un nombre de raisons inouï jusqu’au XVIIIème siècle bien avancé), on peut conclure que le toreo à cheval dominait totalement la scène des festivités.

Selon ce que décrit Tablantes dans les «Annales des Arènes Royales de Séville». Au cours du XVème siècle, durant l’époque chevaleresque, les nobles entraient en piste richement armés, portant ostensiblement sur leurs boucliers des devises dédiées à l’amour de leurs bien-aimées. Ils rivalisaient alors de hardiesse et de courage afin de se montrer dignes d’elles pendant le divertissement à la pique à la lance des taureaux. Durant ce siècle, dans les villes espagnoles, il était attendu de tout individu socialement privilégié qu’il justifie sa position hiérarchique en démontrant, en public, sa maîtrise dans l’art de combattre les taureaux à cheval.

Avec Felipe IV la fête taurine atteint le sommet de son expression spectaculaire baroque. Une fois les bulles papales restrictives oubliées, les villes et communes espagnoles organisèrent de brillantes fêtes taurines à l’occasion de victoires martiales, de fiançailles royales, de naissance de princes, de béatifications, de couronnements ou de bénédictions. Aujourd’hui, l’art de toréer à cheval et de planter des rejones et des banderilles dans la croix du taureau constitue ce qui s’appelle le rejoneo, ou la corrida de rejón. En Espagne le toreo à cheval fut relégué au second plan au XVIIIème siècle, même s’il constitue toujours actuellement le fondement du toreo portugais.